Les déterminants du choléra
Dans le cadre des épidémies de choléra, les déterminants sont tous les
facteurs influençant favorablement ou défavorablement l'évolution d'une
épidémie. Avant une épidémie, l'analyse des déterminants peut permettre
de prévoir l'émergence ou la réémergence d'une épidémie dans un pays ou
une région.
Au début d'une épidémie, lors du diagnostic de la situation initiale, cette analyse est primordiale : elle va permettre de mettre en évidence les facteurs de risques importants, qu'il faudra évaluer, hiérarchiser et sur lesquels il faudra agir en priorité.
Cette analyse des déterminants à été réalisée grâce aux données bibliographiques et aux données d'expérience du terrain lors de plusieurs missions exploratoires de Médecins du Monde.
Au début d'une épidémie, lors du diagnostic de la situation initiale, cette analyse est primordiale : elle va permettre de mettre en évidence les facteurs de risques importants, qu'il faudra évaluer, hiérarchiser et sur lesquels il faudra agir en priorité.
Cette analyse des déterminants à été réalisée grâce aux données bibliographiques et aux données d'expérience du terrain lors de plusieurs missions exploratoires de Médecins du Monde.
I. Déterminants économiques
Les grandes épidémies de choléra arrivent toujours dans les pays
pauvres du monde. Des études ont montré une corrélation, d'une part
entre le nombre élevé de cas cumulés de choléra dans les 'pays
d'Amérique latine et l'I.D.H.(1), d'autre part entre le taux important
de mortalité par choléra et le faible revenu annuel par habitant
(inférieur à 600 dollars). Les épidémies de choléra surviennent surtout
dans les zones pauvres de ces pays, cumulant plusieurs facteurs de
risque : densité de la population, promiscuité, dégradation des
conditions d'hygiène, problèmes d'assainissement et d'accès à l'eau
potable.
Il. Déterminants démographiques et sociologiques
Ils sont favorisés par l'activité et le comportement humains :- L'augmentation de la population, surtout dans les grandes villes, associée à une paupérisation et une urbanisation sauvage, est un facteur essentiel dans l'apparition présente et future des épidémies de choléra : le nombre d'habitants de la planète vivant dans les villes est passé de 33 % en 1970 à 50 % en 2000.
- Les mouvements de population : déplacements de population à la suite de guerres, de catastrophes naturelles, de famine : les épidémies de choléra peuvent réapparaître en zone d'endémie (la malnutrition, le stress, l'épuisement, la promiscuité favorisent la contamination). Des épidémies de choléra ont été favorisées par des déplacements de personnes au cours de la transhumance (par exemple, le cheminement du choléra au Sahel de 1970 à 1980), ou au cours de migrations liées au déplacement des travailleurs saisonniers : un exemple significatif est la dissémination de l'épidémie en Équateur, en 1991, par les pêcheurs rentrant chez eux et essaimant ainsi le choléra dans presque tout le pays.
- Les grands rassemblements (pèlerinages, fêtes, rites, coutumes) favorisant la promiscuité et le manque d'hygiène, sont des déterminants habituels et connus d'une flambée épidémique. Il suffit d'un cas importé par avion et l'épidémie se propage vite. Les axes de communication de l'épidémie de choléra sont toujours terrestres, maritimes, fluviaux mais de plus en plus aériens (l'accélération des moyens de communication favorise la diffusion rapide du vibrion cholérique parmi des populations sensibles très éloignées).
III. Déterminants géographiques, écologiques
Le climat
On retrouve le plus souvent les épidémies de choléra en zone humide,
intertropicale, pendant la saison des pluies ; par exemple, la région
des Grands Lacs en Afrique SubSaharienne et le delta du Gange sont des
régions endémiques bien connues. Mais on peut voir aussi des épidémies
de choléra en région semi-désertique pendant la saison sèche ; par
exemple, les épidémies dans le Sahel, en Afrique, de 1970 à 1980, puis
en 1983.
La pluviométrie
L'arrivée de la saison des pluies ou de cyclones peut favoriser
l'émergence ou la recrudescence d'une épidémie de choléra en région
endémique humide ; un exemple récent : la côte Est de Madagascar. Ce
n'est pas toujours le cas : après le cyclone Mitch en 1998, il n'y pas
eu de vraies épidémies de choléra en Amérique Centrale. Toutefois, en
région sèche ou semi-désertique, l'arrivée de la pluie peut arrêter
l'épidémie de choléra en dispersant la population, jusque là concentrée
sur les rares points d'eau et en permettant une meilleure hygiène.
La température de l'eau
Comme nous l'avons vu, le vibrion se développe bien dans les eaux
saumâtres plutôt chaudes, mais survit aussi des années dans les eaux
profondes. Colwell R.R a observé, au Bangladesh, que la recrudescence du
choléra endémique est corrélée à l'augmentation saisonnière de la
température des eaux de surface.
La température de l'air
Le vibrion cholérique est plus fragile à l'air ambiant que dans son
milieu aquatique habituel. Il peut toutefois survivre quelques jours à
la surface des fruits, légumes, poissons et crustacés contaminés.
La topographie
Les épidémies de choléra débutent habituellement par les zones côtières
des pays, parfois autour des lacs. Les estuaires, les deltas, les
marigots et les mangroves, avec la présence d'eau saumâtre et de
végétation aquatique, sont les principales zones à risques. A partir de
ces zones, les épidémies diffusent vers tous les terrains : plaines,
plateaux (à Antananarivo), en zone montagneuse (Afghanistan), et même en
haute altitude dans la Sierra, en Equateur, à des hauteurs de 2000 à
4000 mètres.
La nature du sol
Le terrain argileux toujours humide est un facteur aggravant : l'eau
stagne, les latrines débordent. Paradoxalement, un sol volcanique
constitué de lave, comme la Grande Comore, qui favorise le ruissellement
et l'infiltration dans les nappes souterraines, peut être un facteur
aggravant ; en effet, il peut y avoir contamination de la nappe, donc
des puits, en cas d'épidémie de choléra.
Conclusion : Il n'existe pas de profil type climatique
ou géographique pour une épidémie de choléra. On peut voir des
épidémies de choléra sous de nombreux types de climats, en montagne ou
en zone désertique, etc.
L'écologie - l'environnement
Le changement des écosystèmes dû au réchauffement de la planète, la
pollution atmosphérique, la déforestation entraînant des inondations,
les sécheresses ou autres catastrophes climatiques (telles que El Nino)
pourraient être à l'origine de la recrudescence épidémique du choléra.
Ces facteurs environnementaux pourraient aussi favoriser l'émergence de
nouvelles souches de Vibrio cholerae.
IV. Déterminants sanitaires
Ils sont liés :
- au manque de ressources sanitaires du pays insuffisance de structures de santé, de personnel soignant bien formé et de financement,
- à la désorganisation des services de santé et d'accès aux soins en cas d'épidémie de choléra,
- au manque de politique de santé bien définie,
- à l'état de santé précaire de certaines populations.
Le niveau sanitaire d'un pays est un déterminant essentiel dans le
contrôle d'une épidémie de choléra et dans son extension. Elle est très
facilement stoppée dans les pays développés où les ressources sanitaires
sont suffisantes.
V. Déterminants historiques
Depuis le début de l'histoire du choléra, on note un phénomène d'adaptation de Vibrio cholerae
à l'homme, donnant un caractère épidémique à certaines souches non
pathogènes jusqu'ici. Ce phénomène d'adaptation aurait été accéléré par
la croissance démographique récente et les facteurs environnementaux.
L'histoire du choléra illustre bien la dynamique d'adaptation d'un agent
pathogène à son hôte en fonction de l'environnement, de la résistance
naturelle et du comportement des populations qu'il infecte.
Le groupe Choléra de Médecins du Monde précise : au
début d'une épidémie de choléra dans une région ou un pays, il est
important de connaître l'histoire des précédentes épidémies de choléra,
car elle permettra de comprendre plus vite les modalités épidémiques, le
cheminement de l'épidémie et le comportement dés populations.
VI. Déterminants biologiques
Sensibilité génétique
L'âge, le sexe n'interviennent qu'indirectement en fonction du milieu
social et des activités. Mais il existerait une sensibilité génétique au
choléra : un facteur génétique dont le support pourrait être
l'équipement d'un individu en gangliosides intestinaux intervient
certainement.
Facteurs biologiques favorisants
La sensibilité individuelle au choléra est attestée par le fait que
l'expression clinique de la maladie reste habituellement rare par
rapport à la fréquence des formes inapparentes et des formes mineures
(1/10 à 1/100). Le pourcentage des formes inapparentes ou porteurs sains
varie suivant le biotype ; avec le biotype EL TOR responsable de la
7ème pandémie, on constate 10 fois plus de porteurs sains par rapport
aux malades qu'avec le biotype classique (50 à 100 porteurs sains pour
un malade en phase d'endémie avec le biotype EL TOR). Mais la
sensibilité individuelle à contracter la maladie dépend aussi de la
physiopathologie et du mode de contamination. En effet, pour être
pathogène, le vibrion doit passer la barrière de l'estomac (l'acidité
gastrique le détruit au fur et à mesure).
Deux conditions lui permettront d'atteindre le jéjunum où il deviendra pathogène :
- une forte dose infectante (108 à 1011 vibrions/ml)
- un pH gastrique alcalin (chez les malades présentant une hypochloridrie, les gastrectomisés, ...)
Ces fortes doses infectantes se retrouvent lors d'ingestion de grandes
quantités de nourriture contaminée où les vibrions sont protégés de
l'acidité gastrique, lors de d'ingestion d'eau infectée massivement par
les selles d'un malade, ou par la stagnation de cette eau dans des
récipients ou des containers.
Pour être contaminé par l'eau douce courante où le vibrion est
habituellement en faible quantité et ne se multiplie pas, il faut que le
sujet présente une hypochlorhydrie gastrique ou des conditions de
dénutrition, ou encore de stress qui diminuent ses défenses.
VII. Facteurs épidémiologiques
Les épidémies de choléra touchent des Communautés à immunité faible ou
nulle. Dans un pays vierge de choléra, la première vague épidémique
touche l'ensemble de la population, tous âges confondus, en fonction
surtout de ses activités.
Dans un pays ou une région d'endémie de choléra (par exemple, le delta
du Gange) où les vagues épidémiques se succèdent, la population restante
s'immunise plus ou moins et les réémergences saisonnières ne concernent
que les jeunes non immunisés et les personnes ayant perdu leur immunité
acquise. Il semble que le biotype EL TOR confère à la population une
protection plus faible et plus transitoire que le biotype classique
responsable des 6 premières pandémies.
Modalités épidémiologiques
On observe classiquement, depuis les épidémies africaines récentes, deux modalités épidémiologiques principales- L'épidémie traînante (quelques cas observés tous les jours ou toutes les semaines pendant plusieurs mois) survient dans une population exposée à de petites quantités de vibrions, du fait de la faible densité humaine; les contacts inter-humains, mais surtout le milieu hydrique, assurent sa diffusion. La mortalité est faible ; les porteurs sains sont en grand nombre et disséminent la maladie. Elle s'observe en zone humide, côtière ou fluviale, à la saison des pluies.
- L'épidémie explosive (apparition brutale d'un grand nombre de cas en peu de jours) s'observe en zone désertique ou en saison sèche. Elle touche des individus à immunité faible ou nulle. Le milieu ne joue plus aucun rôle et la transmission est surtout inter-humaine directe. La majorité de la population est atteinte (formes graves, formes mineures, formes inapparentes). La population restante est immunisée et il n'y a pas d'endémie. C'est surtout dans les camps de réfugiés que l'on observe ces épidémies explosives. A Goma, en République Démocratique du Congo, 30 000 cas environ sont survenus entre le 14 juillet et le 15 août 1994.
VIII. Déterminants anthropologiques
Comme nous l'avons vu précédemment, les grands rassemblements
favorisant la promiscuité et le manque d'hygiène sont des déterminants
importants d'une flambée épidémique :
- Les rites funéraires lors des enterrements chez les musulmans en Indonésie. Aux Comores, par exemple, on vide les intestins du défunt avant de l'enterrer. Dans la mesure où le vibrion survit longtemps dans l'intestin de l'homme, on comprend les sources de contamination et la difficulté de faire de la prévention en période d'épidémie.
- Les lieux de prières et les bassins d'ablution peuvent être un facteur de dissémination.
- Les cérémonies occasionnant les grands rassemblements comme le " grand mariage " en grande Comore. Il réunit plusieurs centaines de personnes en un jour. Chacune apporte un plat. Chaque plat est distribué à 50 personnes environ. Si quelqu'un est porteur sain ou a une forme inapparente de choléra, il peut contaminer plusieurs personnes.
- Le grand rassemblement annuel à la Mecque a joué un rôle majeur dans la dissémination du choléra. Actuellement, l'Arabie Saoudite entretient un système sanitaire de surveillance qui est un modèle pour ce genre de situation : aucun cas de choléra n'a été déclaré depuis 1986 par l’O.M.S.
- Le rôle important de la médecine traditionnelle est un facteur favorisant la diffusion et l'extension de l'épidémie en retardant l'arrivée des malades et en diminuant l'impact des messages de prévention.
L'approche ethnosociologique, la connaissance des pratiques
culturelles, les comportements et attitudes devront être étudiés pour
comprendre l'évolution de l'épidémie et adapter au mieux la prévention.
IX. Déterminants politiques
Un climat d'instabilité politique, les guerres chroniques engendrent
des conditions de vie et d'hygiène désastreuses, un appauvrissement du
pays, une destruction des ressources sanitaires et parfois un
déplacement de la population. Tous ces facteurs peuvent favoriser les
épidémies de choléra.
X. Conclusion
L'émergence des épidémies de choléra dans un pays ou une région donnée
est donc le résultat de l'interaction de facteurs complexes liés :
- à la virulence ou aux modifications de virulence du vibrion cholérique,
- aux particularités de l'environnement (climatiques, écologiques, etc.),
- au comportement humain (surpopulation, promiscuité, déplacement de population, rassemblement humain ... ),
- au degré d'immunité de la population,
- aux conditions de vie et d'hygiène liées à la pauvreté, à la promiscuité, aux problèmes d'eau potable, associées à la dégradation des ressources de santé (structures, personnels, accès aux soins) et à l'absence de réactivité immédiate des politiques de santé du pays concerné par l'épidémie.
(1) IDH : l'indicateur de développement humain est un indicateur
composite qui prend en compte trois éléments du développement humain
affectés d'une pondération égale (niveau de santé, d'éducation et de
revenu atteint dans le pays concerné). Il est exprimé sur une échelle de
0 à 1 et tend à remplacer le PNB/habitant.
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