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dimanche 9 mars 2014

Il vaut mieux être un Socrate malheureux qu'un porc satisfait




Il vaut mieux être un Socrate malheureux qu’un porc satisfait.

Telle est ma devise ! C’est elle qui m’a permis de me battre et d’encaisser mes échecs.
L’artiste ne doit pas définir son but, il doit avancer, il doit chercher, toujours seul, malheureux, incompris des hommes qu’il devance.
C’est cet état instable qu’il faut préserver, car c’est dans l’attente de cette recherche que se trouve le sens de la vie, que se trouve le bonheur.
Continue à lutter toujours, ne t’arrête jamais, ne te contente pas d’un état confortable : souffre, apprend à aimer la souffrance, la lutte âpre et cruelle qui te prend aux tripes, qui te donne envie de t’accrocher passionnément à la vie, qui te donne envie de lutter avec elle.
Le charme de la vie, c’est cette lutte inégale de l’homme avec elle. L'homme qui, avec ses faibles moyens, croie qu'il va gagner et qui s'acharne. Mais la grandeur de l’homme vient de ce qu’il sait perdre devant elle, sans abandonner les armes.
On est heureux quand enfin on ne cherche plus le bonheur, et surtout pas le confort matériel.
Je ne me contente pas des apparences de la réussite, ni du succès immédiat, je veux toujours aller plus loin, au fond des choses, de la vérité, de la beauté, des vraies valeurs de la vie. Je ne veux pas m’arrêter, car c’est faire des concessions à ce qui est grand, à la Vie. C’est pourquoi je suis souvent malheureuse, car le bonheur n’est pas encore pour moi. Il faut chercher, toujours chercher sans s’arrêter ; se reposer oui, quelquefois, mais  vite repartir avant de céder à la facilité, au bien-être de vivre dans une illusion douceâtre. Quand je suis malheureuse, je tourne à vide, et c’est seulement en moi que je dois puiser l’énergie nécessaire pour en sortir et non pas dans les choses extérieures, le matériel, car tout cela est factice. Cela nous permet seulement de vivre, cela nous encourage un peu, c’est tout.

« Penser contre son temps, c'est de l'héroïsme et le dire, c'est de la folie » (Ionesco)


                                                     Écrit en mai 1969, à l’institut Pasteur.

samedi 8 mars 2014


La transmission des valeurs



On doit vivre, apprendre, comprendre,  réussir ou échouer, mais à la fin de sa vie, on doit faire le bilan, prendre du recul et transmettre : son éducation, son système de valeurs dont chacun fera ce qu'il voudra, mais il y aura une marque, une référence dans le subconscient.  Transmettre sa croyance en Dieu ou à la force du mental, aux valeurs de charité, du partage, du respect de l'homme : c'est comme l'éducation, on en fait ce que l'on veut, mais il en reste toujours quelque chose.

Actualités du Choléra à l'aube du 3° millénaire

Actualités du choléra à l'aube du 3e millénaire

Michèle Lavallée
Mis à jour le : 
14 Août 1999
Actualités du choléra à l'aube du 3e millénaire

par Michèle Lavallée
" Groupe choléra " de Médecins du Monde.
Le choléra est malheureusement toujours d'actualité dans le monde. C'était une maladie des guerres, des famines et des catastrophes naturelles qui paraissait appartenir à l'histoire. Depuis 1970, le choléra atteint réellement tous les continents et se situe à nouveau au premier rang des préoccupations de santé publique dans le monde.
I. Historique et situation actuelle
Le choléra est connu depuis l'Antiquité grecque ; il a été identifié pour la première fois dans le delta du Gange, en Inde. Il est resté, durant des siècles, limité au Bangladesh, débordant épisodiquement sur les territoires limitrophes d'Extrême-Orient.
Ce n'est qu'au début du XIXe siècle (1817), lorsque les moyens de communication par voie maritime se sont considérablement accélérés, qu'il s'est étendu au reste du monde, réalisant 7 pandémies.
La 7e pandémie a débuté en 1961 par une série d'épidémies partie des îles Célèbes en Indonésie. Le point de départ a été l'Indonésie et non plus le foyer indien traditionnel. Cette nouvelle origine géographique s'est accompagnée d'un changement de caractère bactériologique majeur . Le germe en cause n'est plus Vibrio cholerae classique, mais un germe voisin Vibrio El Tor présentant des caractères biochimiques particuliers. L'épidémie a gagné toute l'Asie de l'Est, le Bangladesh, l'Inde, l'URSS, l'Afghanistan, l'Iran, l'Irak de 1965 à 1970 puis le Moyen-Orient.
En 1970, il atteint l'Afrique jusque-là épargnée, au nord par l'Égypte, la Libye et le Maghreb ; à l'est par la Somalie, l'Éthiopie puis toute l'Afrique de l'Est ; à l'ouest, le long des côtes à partir de la Guinée il atteint toute l'Afrique de l'Ouest. Depuis il reste à l'état endémique dans certains pays d'Afrique comme la région des Grands Lacs, avec des poussées paroxystiques d'épidémie, le plus souvent en relation avec des déplacements de populations dus à une instabilité politique, comme en 1994 où 1 million de réfugiés rwandais arrivent à Goma (République démocratique du Congo - RDC -) : début d'une épidémie de choléra, la plus explosive jamais observée pendant une période très courte, entre le 14 juillet et le 15 août, 36 000 cas au moins ont été recensés (mais tous les malades n'ont pas consulté) avec 25 000 décès dus au choléra.
En 1991, le choléra atteint l'Amérique latine, qui n'avait plus eu de cas depuis 1897. L'épidémie a débuté le long des côtes du Pérou en janvier 1991. Il est probable que la souche pathogène provienne d'Asie par voie maritime. L'épidémie a été dévastatrice : elle a touché 17 pays en Amérique centrale et du Sud avec 1 million de cas en 4 ans de 1991 à 1994. Des mesures préventives d'éducation sanitaire ont permis de réduire la maladie. Une bonne prise en charge du problème par les autorités sanitaires et la formation du personnel ont permis aussi de faire baisser le taux de mortalité.
En 1992, une importante épidémie de choléra est survenue dans le Sud de l'Inde et s'est propagée le long du golfe du Bengale jusqu'au Bangladesh. On dénombrait 100 000 cas en 3 mois. Cette épidémie est due à une nouvelle souche de Vibrio cholerae, une souche dite non-O1 ; seules les souches O1 connues comme pathogènes, étaient à l'origine des épidémies de choléra. Cette nouvelle souche a été identifiée comme appartenant au serovar O139 Bengale et possède tous les facteurs des souches O1. Est-ce le début de la 8e pandémie ?

                                           L'état actuel du choléra dans le monde

Le choléra reste encore d'actualité dans le monde. En 1998, plus de 240 000 cas de choléra entraînant 8 443 décès ont été déclarés à l'OMS par 59 pays. Les pays les plus touchés sont ceux dont la structure sanitaire est insuffisante, où le niveau socio-économique est bas et lorsqu'il y a des concentrations de populations (déplacements de populations lors des guerres et des famines). Le continent le plus atteint en 1998 est l'Afrique (9/10 des cas déclarés dans le monde et des décès dus au choléra) dont plus de la moitié se situe dans la zone des Grands Lacs (Ouganda, RDC, Kenya, Tanzanie, Mozambique).

Il. Épidémiologie
 1. L'agent pathogène
Vibrio cholerae est une bactérie Gram négatif qui sécrète une toxine extrêmement puissante (exotoxine). Parmi les nombreux serogroupes (ou serovars) de V. cholerae, seuls sont pathogènes les souches O1 pandémiques (avec les biovars cholerae classique et El Tor) et les nouvelles souches non-O1 épidémiques (O139 Bengale et O37 Soudan).
Le Vibrio cholerae se développe bien : dans l'eau (> à 15°), les milieux humides alcalins (ph > 8) et salés. Il vit des années dans l'eau profonde et saumâtre (estuaire). Il vit plusieurs jours dans les poissons et crustacés contaminés, dans les déjections humaines (6 à 10 j), à la surface des aliments souillés (2 j). Il résiste bien au froid (10 jours à une température de 5 à 10°).
En revanche, le Vibrio cholerae est détruit par le soleil, la dessiccation, la chaleur sèche, le chauffage (> 70°), la Javel et par les milieux acides (donc l'acidité gastrique).

2. Mode de contamination
Le réservoir permanent est le milieu aquatique, saumâtre (comme les estuaires), le plancton, les algues. En période d'épidémie le réservoir est strictement humain (malade infecté, porteur asymptomatique ou convalescent). Il existe plus de 90 % de porteurs sains en période d'endémie. La durée moyenne de survie du Vibrio chez le porteur est de 6 à 10 jours.
Le Vibrio cholerae est éliminé par les selles ou vomissements des malades ou porteurs sains et pénètre chez le sujet neuf par voie digestive. Ce passage s'effectue :
- soit directement, par contact étroit avec les malades (par les déjections riches en vibrions) ou les cadavres (encore plus contagieux) ;
- soit indirectement, par l'intermédiaire de l'eau polluée par les matières fécales, les fruits de mer, poissons contaminés, des aliments souillés et peu cuits (rôle des mains sales).

3. Les facteurs favorisants
Le Vibrion est normalement détruit lorsqu'il est absorbé en petite quantité par l'acidité de l'estomac (1re barrière) et par la population bactérienne saprophyte du tube digestif (2e barrière). Certains facteurs favorisent le passage du Vibrio jusqu'à l'intestin grêle :
- il faut une forte charge infectante ; il faut donc ingérer une grande quantité d'eau ou d'aliments contaminés ;
- il faut une hypochlorhydrie gastrique : chez les gastrectomisés, vagotomisés, consommateurs habituels d'alcalinisant, mais aussi en période de famine.
Les principaux facteurs épidémiologiques favorisants sont :
- le niveau socio-économique bas qui conditionne les problèmes d'hygiène, avec absence d'eau potable, de latrines, la promiscuité, la surpopulation, mais aussi les conditions de peuplement ;
- la concentration humaine est le dénominateur commun de toute apparition du choléra (déplacements de populations après guerre, famine, catastrophes naturelles ou grands rassemblements humains comme les pèlerinages, les fêtes et les marchés) ;
- l'insuffisance des structures sanitaires joue un rôle important dans l'extension de l'épidémie. Lorsqu'il y a une bonne prise en charge des premiers cas de choléra et qu'une prévention est d'emblée effectuée, l'épidémie s'arrête ;
- les facteurs environnementaux conditionnent la survie de V. cholerae (milieu humide, salé, alcalin, température ... ). Les changements de l'environnement souvent induits par l'activité et le comportement humain sont souvent à l'origine d'épidémies de choléra. L'augmentation de la population, la concentration urbaine associée à une paupérisation et à une urbanisation sauvage sont des facteurs essentiels de l'augmentation régulière du nombre de cas de choléra dans le monde.
Les changements environnementaux d'origine climatique tels que le fameux El Nino, associés au réchauffement de la planète et accélérés par la déforestation, sont à l'origine de sécheresses ou d'inondations entraînant des changements de l'écosystème. Tous ces changements peuvent être à l'origine de la résurgence du choléra.

4. Équilibre entre infection et immunité collective
Il n'y a pas d'immunité naturelle, mais une immunité acquise dès le 7e jour de la maladie et brève (3 mois environ). Les nouveau-nés allaités sont protégés. Il n'y a pas d'immunité croisée entre les souches O1 et O139 (donc problème pour le vaccin).
Dans les pays cumulant les principaux facteurs favorisant une épidémie de choléra, on distingue deux états : un état endémique (avant ou après une épidémie) et la poussée paroxystique de l'épidémie. L'endémie résulte d'un équilibre entre infection et immunité : l'incidence de l'infection augmente quand l'immunité collective baisse et inversement.
Le retentissement du régime des pluies sur les habitudes socio-familiales des populations joue aussi un rôle sur l'incidence de l'épidémie.
En zone désertique ou en saison sèche, l'épidémie touche des individus à immunité faible ou nulle: l'épidémie est explosive (exemple, Goma 1994 : environ 30 000 cas en 9 jours). Le milieu ne joue plus aucun rôle et la transmission est surtout interhumaine directe. La majorité de la population est atteinte (formes graves, formes mineures, formes inapparentes). Quand l'épidémie est finie, le choléra disparaît. La population restante est immunisée. Il n'y a pas d'endémie.
En zone humide ou en saison des pluies, l'épidémie est traînante et laisse place à un état endémique souvent latent. 1% de la population peut être atteinte sur une période de plusieurs mois. La contamination interhumaine directe est moindre. La diffusion de l'épidémie est surtout due à l'eau et aux aliments pollués, d'où l'intérêt des mesures d'éducation sanitaire et de prévention.

III. Clinique et traitement
1. Forme typique grave
Après une courte incubation, de quelques heures en période d'épidémie à 3-7 jours en phase endémique, le début est brutal. La forme grave classique associe très vite une diarrhée purement aqueuse, incolore avec des grains riziformes en suspension, sans fièvre, extrêmement abondante jusqu'à 1 litre par heure) suivie de vomissements ayant les mêmes caractéristiques qui entraînent très vite un état sévère de déshydratation avec asthénie massive, soif, langue rôtie, crampes musculaires extrêmement douloureuses et perte de l'élasticité cutanée apparaissant quand la perte hydrique est égale ou supérieure à 10 % du poids du corps.
L'aspect du malade est caractéristique: visage émacié, yeux enfoncés, pli cutané durable, TA effondrée, pouls imprenable, hypothermie à 36°, corps couvert de sueurs froides. Non traité, le malade meurt de collapsus en 48-72 heures.
Le traitement est surtout basé sur une réhydratation massive (5 à 6 litres en 3-5 heures au début) d'eau et d'électrolytes, d'abord en IV puis par voie orale pendant 3 à 5 jours, nécessitant une logistique rigoureuse (centre de traitement choléra) sous peine de mortalité très élevée dépassant le quotient de létalité habituel de 1 à 2 % (voir encadré).
Le traitement antibiotique n'est entrepris que secondairement, dès la fin des vomissements, après la phase critique, en général 3 à 5 heures après le début de la réhydratation. Le traitement antibiotique dépend :
- de l'antibiogramme et des problèmes de résistance de plus en plus fréquents
- des recommandations de l'OMS;
- du niveau économique du pays et de sa politique sanitaire.
Son but est d'abréger l'évolution des symptômes et de limiter le risque de contamination. Il est le plus souvent réservé, en médecine de masse, aux formes graves. On prescrit généralement chez l'adulte des cyclines (tetracycline en 4 prises ou doxycycline en 1 prise). Les sulfamides associés comme le Bactrim® sont recommandés chez l'enfant. Les autres alternatives chez l'enfant ou l'adulte sont la furazolidine, l'érythromycine, le chloramphenicol. Les quinolones (ciprofloxacine et ofloxacine) sont efficaces mais chères.

2. Les formes mineures
Elles se résument à une diarrhée banale (gastroentérite). Elles sont beaucoup plus nombreuses que les formes graves et contribuent avec les formes inapparentes à diffuser le germe et à contaminer la population. Le portage dure 5 à 10 jours dans le tube digestif. Le traitement de réhydratation orale (SRO) est accompagné de mesures préventives.

IV. Prévention
La prévention est essentielle dans la lutte contre le choléra, surtout dans les pays où le niveau sanitaire est rudimentaire. L'hygiène de l'eau, de l'alimentation, des mains, des selles et les méthodes de chloration par l'eau de Javel sont les meilleurs -outils de prévention du choléra, en zone d'endémie. Ils doivent être enseignés aux populations menacées dans des programmes de Santé publique: information de la population (radio locale, affiches), formation des agents de santé à l'éducation sanitaire de la population et participation de la population aux mesures préventives par des comités villageois bénévoles. La prophylaxie générale en zone d'endémie repose aussi sur l'amélioration des conditions de vie, l'aménagement de réseaux protégés d'eau potable et de réseaux d'eaux usées, le dépistage des porteurs sains.

Les mesures préventives moins efficaces sont :
- la chimioprophylaxie de masse (exemple: 1 dose de doxycycline) est pratiquement impossible à réaliser et très chère : il faudrait que toute la population soit traitée simultanément (l'efficacité du traitement ne durant que quelques jours après quoi la réinfestation est possible). D'autre part, la chimioprophylaxie de masse contribue à l'émergence de résistances privant ainsi les cas sévères d'un traitement efficace. Enfin elle donne une fausse sécurité à la population et aux autorités sanitaires qui négligent les autres mesures préventives efficaces comme la chloration...
- la Vaccination : le vaccin parentéral n'est plus recommandé du fait de sa faible efficacité. Il conférait une protection incomplète (50 %) et brève " 6 mois). D'autre part il ne diminuait pas l'incidence des affections asymptomatiques.
Depuis une quinzaine d'années, des progrès majeurs ont été réalisés dans l'élaboration de vaccins oraux. Deux vaccins oraux sont actuellement en cours de développement et d'évaluation.
Le vaccin tué Cholerix (SLB Vaccins AB Suède) est constitué de V. cholerae 01 entier, associé à la sous-unité B de la toxine cholérique obtenue par génie génétique.
Administré en 2 doses à 7 jours d'intervalle, il confère une semaine plus tard un degré élevé de protection (85 %) contre le choléra O1 pendant 6 mois, diminuant à 50 % au bout de trois ans. Il est moins efficace contre El Tor que contre le Vibrio classique.
Le vaccin vivant Orochol Berna (Inst. suisse des sérums et vaccins) contient la souche CVD 103-HgR de V. cholerae O1 génétiquement modifiée et atténuée ; administrée en une seule dose, il confère dès le 7e jour une forte protection contre le V. cholerae classique (proche de 100 %) ou El Tor (62 %) durant au moins 3 mois. Bien qu'on dispose déjà d'une vaste expérience de ce vaccin dans les pays en développement d'Asie et d'Amérique latine, il n'a pas été évalué en Afrique subsaharienne. Il est nécessaire d'établir préalablement son innocuité chez les sujets infectés par le VIH.

V. Conclusion
Maladie de la pauvreté, du manque d'hygiène et des concentrations de population, transmise essentiellement par l'homme à partir de réservoirs hydriques permanents, le choléra sévit toujours autant en cette fin de siècle, surtout dans les pays où les structures sanitaires sont déficientes. Son diagnostic est aisé. Son traitement, basé presque essentiellement sur une réhydratation massive bien conduite, nécessite une logistique rigoureuse et des moyens importants lors de grandes épidémies.
En attendant la commercialisation des futurs vaccins oraux actifs sur les souches O1 et O139, l'hygiène alimentaire et corporelle, les méthodes de chloration par l'eau de Javel sont les meilleurs outils de prévention du choléra et doivent être enseignés aux populations menacées.

Développement et Santé, n°142, août 1999


Dans son livre sur l'avenir de l'eau, Erick Orsenna me cite à la page 124



Les determinants du cholera

                Les déterminants du choléra

Michèle Lavallée; Médecins du Monde
Mis à jour le : 14 Avril 2001
Dans le cadre des épidémies de choléra, les déterminants sont tous les facteurs influençant favorablement ou défavorablement l'évolution d'une épidémie. Avant une épidémie, l'analyse des déterminants peut permettre de prévoir l'émergence ou la réémergence d'une épidémie dans un pays ou une région.
Au début d'une épidémie, lors du diagnostic de la situation initiale, cette analyse est primordiale : elle va permettre de mettre en évidence les facteurs de risques importants, qu'il faudra évaluer, hiérarchiser et sur lesquels il faudra agir en priorité.
Cette analyse des déterminants à été réalisée grâce aux données bibliographiques et aux données d'expérience du terrain lors de plusieurs missions exploratoires de Médecins du Monde.

I. Déterminants économiques

Les grandes épidémies de choléra arrivent toujours dans les pays pauvres du monde. Des études ont montré une corrélation, d'une part entre le nombre élevé de cas cumulés de choléra dans les 'pays d'Amérique latine et l'I.D.H.(1), d'autre part entre le taux important de mortalité par choléra et le faible revenu annuel par habitant (inférieur à 600 dollars). Les épidémies de choléra surviennent surtout dans les zones pauvres de ces pays, cumulant plusieurs facteurs de risque : densité de la population, promiscuité, dégradation des conditions d'hygiène, problèmes d'assainissement et d'accès à l'eau potable.

Il. Déterminants démographiques et sociologiques

Ils sont favorisés par l'activité et le comportement humains :
  • L'augmentation de la population, surtout dans les grandes villes, associée à une paupérisation et une urbanisation sauvage, est un facteur essentiel dans l'apparition présente et future des épidémies de choléra : le nombre d'habitants de la planète vivant dans les villes est passé de 33 % en 1970 à 50 % en 2000.
  • Les mouvements de population : déplacements de population à la suite de guerres, de catastrophes naturelles, de famine : les épidémies de choléra peuvent réapparaître en zone d'endémie (la malnutrition, le stress, l'épuisement, la promiscuité favorisent la contamination). Des épidémies de choléra ont été favorisées par des déplacements de personnes au cours de la transhumance (par exemple, le cheminement du choléra au Sahel de 1970 à 1980), ou au cours de migrations liées au déplacement des travailleurs saisonniers : un exemple significatif est la dissémination de l'épidémie en Équateur, en 1991, par les pêcheurs rentrant chez eux et essaimant ainsi le choléra dans presque tout le pays.
  • Les grands rassemblements (pèlerinages, fêtes, rites, coutumes) favorisant la promiscuité et le manque d'hygiène, sont des déterminants habituels et connus d'une flambée épidémique. Il suffit d'un cas importé par avion et l'épidémie se propage vite. Les axes de communication de l'épidémie de choléra sont toujours terrestres, maritimes, fluviaux mais de plus en plus aériens (l'accélération des moyens de communication favorise la diffusion rapide du vibrion cholérique parmi des populations sensibles très éloignées).

III. Déterminants géographiques, écologiques

Le climat

On retrouve le plus souvent les épidémies de choléra en zone humide, intertropicale, pendant la saison des pluies ; par exemple, la région des Grands Lacs en Afrique SubSaharienne et le delta du Gange sont des régions endémiques bien connues. Mais on peut voir aussi des épidémies de choléra en région semi-désertique pendant la saison sèche ; par exemple, les épidémies dans le Sahel, en Afrique, de 1970 à 1980, puis en 1983.

La pluviométrie

L'arrivée de la saison des pluies ou de cyclones peut favoriser l'émergence ou la recrudescence d'une épidémie de choléra en région endémique humide ; un exemple récent : la côte Est de Madagascar. Ce n'est pas toujours le cas : après le cyclone Mitch en 1998, il n'y pas eu de vraies épidémies de choléra en Amérique Centrale. Toutefois, en région sèche ou semi-désertique, l'arrivée de la pluie peut arrêter l'épidémie de choléra en dispersant la population, jusque là concentrée sur les rares points d'eau et en permettant une meilleure hygiène.

La température de l'eau

Comme nous l'avons vu, le vibrion se développe bien dans les eaux saumâtres plutôt chaudes, mais survit aussi des années dans les eaux profondes. Colwell R.R a observé, au Bangladesh, que la recrudescence du choléra endémique est corrélée à l'augmentation saisonnière de la température des eaux de surface.

La température de l'air

Le vibrion cholérique est plus fragile à l'air ambiant que dans son milieu aquatique habituel. Il peut toutefois survivre quelques jours à la surface des fruits, légumes, poissons et crustacés contaminés.

La topographie

Les épidémies de choléra débutent habituellement par les zones côtières des pays, parfois autour des lacs. Les estuaires, les deltas, les marigots et les mangroves, avec la présence d'eau saumâtre et de végétation aquatique, sont les principales zones à risques. A partir de ces zones, les épidémies diffusent vers tous les terrains : plaines, plateaux (à Antananarivo), en zone montagneuse (Afghanistan), et même en haute altitude dans la Sierra, en Equateur, à des hauteurs de 2000 à 4000 mètres.

La nature du sol

Le terrain argileux toujours humide est un facteur aggravant : l'eau stagne, les latrines débordent. Paradoxalement, un sol volcanique constitué de lave, comme la Grande Comore, qui favorise le ruissellement et l'infiltration dans les nappes souterraines, peut être un facteur aggravant ; en effet, il peut y avoir contamination de la nappe, donc des puits, en cas d'épidémie de choléra.
Conclusion : Il n'existe pas de profil type climatique ou géographique pour une épidémie de choléra. On peut voir des épidémies de choléra sous de nombreux types de climats, en montagne ou en zone désertique, etc.

L'écologie - l'environnement

Le changement des écosystèmes dû au réchauffement de la planète, la pollution atmosphérique, la déforestation entraînant des inondations, les sécheresses ou autres catastrophes climatiques (telles que El Nino) pourraient être à l'origine de la recrudescence épidémique du choléra. Ces facteurs environnementaux pourraient aussi favoriser l'émergence de nouvelles souches de Vibrio cholerae.

IV. Déterminants sanitaires

Ils sont liés :
  • au manque de ressources sanitaires du pays insuffisance de structures de santé, de personnel soignant bien formé et de financement,
  • à la désorganisation des services de santé et d'accès aux soins en cas d'épidémie de choléra,
  • au manque de politique de santé bien définie,
  • à l'état de santé précaire de certaines populations.
Le niveau sanitaire d'un pays est un déterminant essentiel dans le contrôle d'une épidémie de choléra et dans son extension. Elle est très facilement stoppée dans les pays développés où les ressources sanitaires sont suffisantes.

V. Déterminants historiques

Depuis le début de l'histoire du choléra, on note un phénomène d'adaptation de Vibrio cholerae à l'homme, donnant un caractère épidémique à certaines souches non pathogènes jusqu'ici. Ce phénomène d'adaptation aurait été accéléré par la croissance démographique récente et les facteurs environnementaux. L'histoire du choléra illustre bien la dynamique d'adaptation d'un agent pathogène à son hôte en fonction de l'environnement, de la résistance naturelle et du comportement des populations qu'il infecte.
Le groupe Choléra de Médecins du Monde précise : au début d'une épidémie de choléra dans une région ou un pays, il est important de connaître l'histoire des précédentes épidémies de choléra, car elle permettra de comprendre plus vite les modalités épidémiques, le cheminement de l'épidémie et le comportement dés populations.

VI. Déterminants biologiques

Sensibilité génétique

L'âge, le sexe n'interviennent qu'indirectement en fonction du milieu social et des activités. Mais il existerait une sensibilité génétique au choléra : un facteur génétique dont le support pourrait être l'équipement d'un individu en gangliosides intestinaux intervient certainement.

Facteurs biologiques favorisants

La sensibilité individuelle au choléra est attestée par le fait que l'expression clinique de la maladie reste habituellement rare par rapport à la fréquence des formes inapparentes et des formes mineures (1/10 à 1/100). Le pourcentage des formes inapparentes ou porteurs sains varie suivant le biotype ; avec le biotype EL TOR responsable de la 7ème pandémie, on constate 10 fois plus de porteurs sains par rapport aux malades qu'avec le biotype classique (50 à 100 porteurs sains pour un malade en phase d'endémie avec le biotype EL TOR). Mais la sensibilité individuelle à contracter la maladie dépend aussi de la physiopathologie et du mode de contamination. En effet, pour être pathogène, le vibrion doit passer la barrière de l'estomac (l'acidité gastrique le détruit au fur et à mesure).
Deux conditions lui permettront d'atteindre le jéjunum où il deviendra pathogène :
  • une forte dose infectante (108 à 1011 vibrions/ml)
  • un pH gastrique alcalin (chez les malades présentant une hypochloridrie, les gastrectomisés, ...)
Ces fortes doses infectantes se retrouvent lors d'ingestion de grandes quantités de nourriture contaminée où les vibrions sont protégés de l'acidité gastrique, lors de d'ingestion d'eau infectée massivement par les selles d'un malade, ou par la stagnation de cette eau dans des récipients ou des containers.
Pour être contaminé par l'eau douce courante où le vibrion est habituellement en faible quantité et ne se multiplie pas, il faut que le sujet présente une hypochlorhydrie gastrique ou des conditions de dénutrition, ou encore de stress qui diminuent ses défenses.

VII. Facteurs épidémiologiques

Les épidémies de choléra touchent des Communautés à immunité faible ou nulle. Dans un pays vierge de choléra, la première vague épidémique touche l'ensemble de la population, tous âges confondus, en fonction surtout de ses activités.
Dans un pays ou une région d'endémie de choléra (par exemple, le delta du Gange) où les vagues épidémiques se succèdent, la population restante s'immunise plus ou moins et les réémergences saisonnières ne concernent que les jeunes non immunisés et les personnes ayant perdu leur immunité acquise. Il semble que le biotype EL TOR confère à la population une protection plus faible et plus transitoire que le biotype classique responsable des 6 premières pandémies.

Modalités épidémiologiques

On observe classiquement, depuis les épidémies africaines récentes, deux modalités épidémiologiques principales
  • L'épidémie traînante (quelques cas observés tous les jours ou toutes les semaines pendant plusieurs mois) survient dans une population exposée à de petites quantités de vibrions, du fait de la faible densité humaine; les contacts inter-humains, mais surtout le milieu hydrique, assurent sa diffusion. La mortalité est faible ; les porteurs sains sont en grand nombre et disséminent la maladie. Elle s'observe en zone humide, côtière ou fluviale, à la saison des pluies.
  • L'épidémie explosive (apparition brutale d'un grand nombre de cas en peu de jours) s'observe en zone désertique ou en saison sèche. Elle touche des individus à immunité faible ou nulle. Le milieu ne joue plus aucun rôle et la transmission est surtout inter-humaine directe. La majorité de la population est atteinte (formes graves, formes mineures, formes inapparentes). La population restante est immunisée et il n'y a pas d'endémie. C'est surtout dans les camps de réfugiés que l'on observe ces épidémies explosives. A Goma, en République Démocratique du Congo, 30 000 cas environ sont survenus entre le 14 juillet et le 15 août 1994.

VIII. Déterminants anthropologiques

Comme nous l'avons vu précédemment, les grands rassemblements favorisant la promiscuité et le manque d'hygiène sont des déterminants importants d'une flambée épidémique :
  • Les rites funéraires lors des enterrements chez les musulmans en Indonésie. Aux Comores, par exemple, on vide les intestins du défunt avant de l'enterrer. Dans la mesure où le vibrion survit longtemps dans l'intestin de l'homme, on comprend les sources de contamination et la difficulté de faire de la prévention en période d'épidémie.
  • Les lieux de prières et les bassins d'ablution peuvent être un facteur de dissémination.
  • Les cérémonies occasionnant les grands rassemblements comme le " grand mariage " en grande Comore. Il réunit plusieurs centaines de personnes en un jour. Chacune apporte un plat. Chaque plat est distribué à 50 personnes environ. Si quelqu'un est porteur sain ou a une forme inapparente de choléra, il peut contaminer plusieurs personnes.
  • Le grand rassemblement annuel à la Mecque a joué un rôle majeur dans la dissémination du choléra. Actuellement, l'Arabie Saoudite entretient un système sanitaire de surveillance qui est un modèle pour ce genre de situation : aucun cas de choléra n'a été déclaré depuis 1986 par l’O.M.S.
  • Le rôle important de la médecine traditionnelle est un facteur favorisant la diffusion et l'extension de l'épidémie en retardant l'arrivée des malades et en diminuant l'impact des messages de prévention.
L'approche ethnosociologique, la connaissance des pratiques culturelles, les comportements et attitudes devront être étudiés pour comprendre l'évolution de l'épidémie et adapter au mieux la prévention.

IX. Déterminants politiques

Un climat d'instabilité politique, les guerres chroniques engendrent des conditions de vie et d'hygiène désastreuses, un appauvrissement du pays, une destruction des ressources sanitaires et parfois un déplacement de la population. Tous ces facteurs peuvent favoriser les épidémies de choléra.

X. Conclusion

L'émergence des épidémies de choléra dans un pays ou une région donnée est donc le résultat de l'interaction de facteurs complexes liés :
  • à la virulence ou aux modifications de virulence du vibrion cholérique,
  • aux particularités de l'environnement (climatiques, écologiques, etc.),
  • au comportement humain (surpopulation, promiscuité, déplacement de population, rassemblement humain ... ),
  • au degré d'immunité de la population,
  • aux conditions de vie et d'hygiène liées à la pauvreté, à la promiscuité, aux problèmes d'eau potable, associées à la dégradation des ressources de santé (structures, personnels, accès aux soins) et à l'absence de réactivité immédiate des politiques de santé du pays concerné par l'épidémie.
(1) IDH : l'indicateur de développement humain est un indicateur composite qui prend en compte trois éléments du développement humain affectés d'une pondération égale (niveau de santé, d'éducation et de revenu atteint dans le pays concerné). Il est exprimé sur une échelle de 0 à 1 et tend à remplacer le PNB/habitant.



Développement et Santé, n° 152, avril 2001